Lettre ouverte au Sire l’héritier, Nicolas F. Duvalier

Lettre ouverte au Sire l’héritier, Nicolas F. Duvalier

Lundi 22 avril 2019 ((rezonodwes.com))– Sire l’héritier,

« Un rameau sortira du tronc d’Isai, Et un rejeton naîtra de ses racines. Sur lui reposera……………. ».

                                                                     -Isaïe 11 –

Sire, le texte ci-dessus cité est une prophétie et c’est à vous de le completer. Quand à l’arbre généalogique, je ne sais pas lequel, il peut être un Bennett de la lignée du roi Henry Christophe (mulatre)  ou un Duvalier de la lignée des Duvaliers (negre). Seul votre fruit permettra d’identifier l’arbre. Ce sont les paroles du Maître des maîtres. Dans vos veines circule le sang negro-mulatre, ce mélange qui peut-être source de paix ou de désolation. Et delà peut-être, vous saurez vous faire une idée sur votre identité et de votre rôle a jouer sur la scène politique d’Haïti. Sire, je ne suis pas prophète et je ne lis dans les boules de crystal mais permettez-moi de vous poser cette question: savez-vous pourquoi vous êtes venu au monde? Et savez-vous pourquoi le ciel a fait chuter le règne de vos pères et vous a privé le destin de poursuivre leurs oeuvres? La réponse est simple, ils ont violé les lois du ciel. Cela peut vous paraître ridicule et c’est pas un péché. L’idolatrie, Sire, vos pères ont commis l’idolatrie et c’est le premier péché interdit  des dix paroles prononcées par Dieu lui-même. Sire, dans votre cas de figure,  on dit souvent que la voix du peuple est la voix de Dieu, alors, en bon leader, il vous revient de convaincre le peuple que vous avez tourné le dos aux idoles que vos pères ont adoré tels que la terreur, l’oppression, l’autoritarisme etc.. Mais votre mépris, votre apologie, et votre silence laissent a croire le contraire. Ai-je tort ou raison, j’en sais absolument rien. Cependant par amour pour mon peuple, mes compatriotes, je vous partage ici  ma pensée profonde.

APOLOGIE ET RÉVOLTE…

«Un humain accompli est le meilleur des animaux mais quand il a rompu avec la loi et la justice, il est le pire de tous, le plus impie, le plus féroce et le plus déréglé. » .

                                                                     -Aristote-

Face au spectacle de l’histoire du régime duvalieriste et de ses crimes et ses atrocités éveille la révolte populaire chargée d’indignation car à votre  grand père par les urnes à lui donné confiance. Mon peuple s’en prend au non-sens historique, à l’absurdité des maux de l’histoire, ceux dont les hordes duvalieristes sont responsables. Vrais sont  les témoignages les plus poignants des victimes.  À peine si les plus juste seront sauvés. Sire, vérité historique oblige: entre mensonges, stratégies de communication, enfumage, intoxication, désinformation, instrumentalisation, bien malin qui peut désormais savoir où se trouve la vérité. Le philosophe Thomas de Koninck, dans un chapitre de son livre Question ultimes  nous rappelle cette pensée d’Aristote : «Un humain accompli est le meilleur des animaux mais quand il a rompu avec la loi et la justice, il est le pire de tous, le plus impie, le plus féroce et le plus déréglé. » . Trop de faits servent de bases à cette vérité historique. Et à vous, Sire, l’hommage est rendu. Comme dirait-on, sans repentance on devient démocrate.Votre apologie du duvaliérisme fait son petit chemin dans le mépris même des victimes. Et la décence morale dans tout celà, a-t-on droit de l’invoquer. Mains couvertes de sangs, les hordes duvalieristes, l’eau trop pure pour les laver. Les horreurs, les carnages, les assassinats, les emprisonnements arbitraires, du père au fils, les victimes à une liste sans fin ajoutés. Au moins pour un homme comme moi qui a fréquenté la Sorbonne, vous êtes sûrement familier au terme « apologie »qui désigne un discours défendant, justifiant une personne ou une doctrine. Il désigne également tout « Discours ou écrit ayant pour objet de défendre, de justifier, et le cas échéant faire l’éloge d’une personnalité ou d’une cause contre des attaques publiques.

Donc, Il m’eût été, je l’avoue, extrêmement difficile de répondre à votre message bienveillant à la nation haïtienne dans lequel, comme par ironie, vous avez fait de la France votre modèle en matière de droit de l’homme. Obligé de m’avouer que je me trouvais dans une situation extrêmement difficile, force a été pour moi, de la rédaction de cette présente lettre, de faire une halte dans l’orientation même de ma pensée. À celà, il m’a fallu de longues réflexions pour sonder les motifs de cette lettre énigmatique et d’en réfléchir soigneusement aux conséquences. À le dire, je n’aurais pu prendre sur moi de me lancer encore une fois, comme il eût fallu m’y résoudre, dans un labyrinthe de considérations philosophiques et de pures abstractions. Pourtant, à la répugnance prononcée que j’ai maintenant à relire mes bouquins de philosophie politique, il m’est aisé de reconnaître qu’à l’époque où je les étudia en France  j’étais dans une situation d’esprit tout à fait anormale, considérant le fait que c’est dans cette même France que votre père a obtenu refuge et menait une vie de grand bourgeois sur le frais du peuple haïtien massacré, pillé, humilié et torturé et enfin livré a lui-même. Votre message m’a inspiré la confiance qu’une exposition réfléchie de ma pensée sur le duvalierisme pourrait servir à dissiper plus d’une erreur, plus d’un préjugé, et mettre facilement les esprits prévenus de juger la lettre elle-même sans avoir à se prononcer en même temps sur une théorie contestable. Laissez-moi m’étendre un peu là-dessus ; je me flatte de vous faire saisir au moyen de cette lettre d’une disposition toute personnelle, la valeur de ma pensée sur le duvalierisme; il m’est d’ailleurs aussi impossible, à cette heure, de reprendre certains principes sous leur forme purement abstraite, que cela serait contraire au but que je me propose.

VISION ET RESPONSABILITÉ

« Mon père a fait la révolution politique, moi, je ferai la révolution économique »

                                               Jean-Claude Duvalier.

Tels ont été les propos de votre père Jean-Claude Duvalier  pour se démarquer de l’emprise de votre grand-père Dr François Duvalier. Bien que la révolution économique de Jean-Claude s’est révélé un échec total dans la perspective d’un réel développement économique, je pense au moins, on a droit à une révolution culturelle. Et si mon peuple à nouveau vous tend la main pour le guider dans une nouvelle aventure, pourrait-il imaginer et espérer pire ? 7 février 1986, après avoir tant souffert, pendant 29 ans d’un pouvoir absolu et sanguinaire qui a conduit le pays au bord de l’abîme, la nation haïtienne enfin s’était réveillée à une ère nouvelle. Cette date marquait la fin de l’extrême droite. De leurs chefs, la dictature a été décapitée et dans le berceau, Sire, l’exil vous avez connu. On peut imaginer le tort que la démocratie vous a infligé car de la dynastie, elle a été victorieuse. Pourtant, L’expérience de ces 40 dernières années laisse mon peuple un peu perplexe sur son avenir. Par les urnes, son désarroi pleure à haute voix, pourtant l’élite à son cri ferme l’oreille. Et de l’efficacité de la démocratie aujourd’hui, le scepticisme des esprits investit. Que sais-je, peut-être vers vous le vent du salut de mon peuple pourra tourner, et de vous, Sire, en faire l’heureux élu. Et en bon héritier, des affaires de l’État, vous prendriez controle. Qui oserait croire autrement? Le désespoir est si profond qu’il engendre souvent l’amertume dans le coeur de mon peuple. À remarquer que pour le peuple haïtien, il n’est pas évident, comme l’ont démontré les expériences de ces dernières décennies, de construire pour lui-même et par lui-mêmes un avenir de liberté, sans finalement tomber sous l’emprise des oligarchies corrompues. Sire, ce va-et-vient entre démocraties et tyrannies fut déjà décrit il y a des siècles par Platon.

Et aujourd’hui, c’est la menace du retour imminent de l’extrême droite qui pèse sur nos épaules. Certains voulant exprimer leur crainte de voir l’histoire se reproduire rétorquent en permanence : « Tel père, tel fils » et « Pye mango pa janm pouse zaboka ». Sire, avoue-t-on que leur crainte est légitime. D’autres, plus religieux, prônent le pardon et  répliquent par le verset biblique qui suit : « Celui qui pèche, c’est celui qui mourra. Le fils ne supportera pas les conséquences de la faute commise par son père, et le père ne supportera pas les conséquences de la faute commise par son fils. »  Ezekiel 18 : 20. Ainsi, Sire,  les enfants ne sont pas punis pour les péchés commis par leurs parents, ni les parents pour ceux de leurs enfants : chacun est responsable de ses propres péchés.  Sire, pour ma part, je suis contraint de vous faire part de mes sentiments en ce concerne l’avenir et le devenir de mon peuple. Et j’oserai tout dire, car je n’ai jamais eu qu’une passion dans ma vie autre que la vérité. Mais ma responsabilité est écrasante et me réclame de la détermination, unique sentiment qui puisse faire infléchir un barbare inconscient. Comment donc pourrais-je vouloir la vérité et la justice, lorsqu’on détraque à ce point toutes les vertus légendaires, la clarté de mon intelligence et la solidité de ma raison ? Sire, là est le premier pas et cela expliquerait la pathétique impuissance des appels à la vigilance dont résonne notre histoire depuis plus d’un demi-siècle et d’où soulève l’épineuse problématique de votre responsabilité morale face à l’héritage légué par vos pères. Ainsi, Sire, La question philosophique du jugement moral est rouverte.

HÉRITAGE ET EFFET LUCIFER…

                                                   « Tout est permis »

                                                       -Ivan Karamazov-

En grand fils de monarque, Sire,  la couronne vous revient de droit divin et sacré pensent plus d’uns. Et de retour au pays, après plus de vingt ans  d’exil en France, vous pensez réclamer votre héritage :  » le pouvoir « . Si j’ai osé adresser à Sieur Réginald Boulos, le titre de bourgeois, c’est parce que lui-même en a voulu ainsi. Cependant, pardonnez-moi si je ne puisse répertorier aucun titre vous référent si ce n’est que celui de l’héritier. Eh oui, vous êtes le seul héritier du duvalierisme. L’héritage selon le petit Larousse se definit ainsi : Bien(s) acquis ou transmis par voie de succession : Il a laissé à ses enfants un héritage important.Ce qu’on tient de prédécesseurs, de générations antérieures, sur le plan du caractère, de l’idéologie, etc. : Un riche héritage culturel. Ce qui est laissé par les prédécesseurs et qui est pénible à assumer : Le lourd héritage du gouvernement précédent. Ce terme polysémique a deux facettes positif et négatif. Mais à bien comprendre, on peut également bénéficier de la grâce de Dieu et échapper au côté négatif de l’héritage. Or selon certains psychologues comportementalistes, une situation suffit à décider de la valeur morale de l’individu humain – et concluent que Lucifer est un effet ? Ou, au contraire, existe-t-il dans la nature humaine quelque fatalité du mal ?  Donc  un « effet », en somme, de la malignité de Lucifer devenu Satan. Peut-on ici parler de l’effet lucifer en rapport avec votre héritage duvalieriste ?

« La capacité infinie de l’esprit humain pour transformer n’importe qui en personne aimable ou cruelle, compatissante ou égoïste, créative ou destructive, et de faire que certains deviennent des méchants tandis que d’autres sont tout simplement des héros ».

                                                      -Phillip Zimbardo-

Zimbardo explique, dans son livre « L’effet Lucifer », que le processus de déshumanisation était inévitable. Les facteurs situationnels, les dynamiques sociales d’un contexte concret et la pression psychologique peuvent faire germer le mal en nous. Une graine qui se trouve toujours au plus profond de nous, que nous le voulions ou non. Malgré tout, ce côté pervers peut être rééquilibré par la force de détermination et cette intégrité capable de fixer des limites et de nous pousser à sortir de certains contextes oppressants afin de ne pas oublier qui nous sommes et de passer chacun de nos actes au tamis de nos valeurs. L’effet Lucifer peut avoir lieu dans n’importe lequel de nos contextes quotidiens. Il fait référence à un processus de transformation. Avec lui, une personne apparemment normale, gentille et intégrée est capable de commettre des actes atroces. Ce sont des cas où, au lieu de retrouver un trouble ou un passé traumatique, on a affaire à l’influence puissante d’un facteur situationnel capable de nous déshumaniser. Il est possible qu’à un moment donné, et en raison de certaines circonstances sociales et structurelles, quelqu’un ressente le besoin ou l’obligation de franchir la ligne pour la méchanceté ou la cruauté. C’est ce que nous explique l’Effet Lucifer. Cependant, la morale doit être au-dessus de tout cela. Cette dimension incorruptible qui agit comme un leurre pour le souvenir : au-delà de la pression de l’environnement ou du désespoir se trouvent la logique et l’intégrité.

DUVALIERISME ET L’ESPRIT DE TERREUR…

« L’obéissance d’un homme à son propre génie, c’est la foi par excellence. » 

                                                                   -Emerson-

Dans le duvalierisme, l’énergie destructrice est de sa nature animale, narcissique et sadique ; et là même où il a besoin d’étude pour s’approprier la technique nécessaire à la réalisation, sous les formes de tortures, de massacres et de meurtres, des types qu’enfante sa pensée sanguinaire, le choix définitif des moyens d’expression totalitaire ne suppose pas la réflexion ; il est déterminé bien plutôt par une tendance machiavélique, et cette tendance constitue précisément, dans le duvalierisme, le caractère de son génie particulier. Le duvalierisme dramatique a besoin, dans la plus rigoureuse acception du mot, de cet ensemble pour donner à son régime une expression intelligible : il est forcé d’avoir recours à la violence répressive, gratuite et les massacres comme ensemble des instruments de représentation, soumis à des lois particulières, constitue lui-même une branche spéciale de l’autoritarisme. Avant tout, le duvalierisme dramatique, en abordant le régime autoritaire, trouve en lui un élément du mal déjà constitué ; il est tenu de se fondre avec lui, avec les lois particulières qui le régissent, pour voir ses propres conceptions réalisées.

 » Dans quelques pays civilisé qu’il me plairait de vivre, je crois pouvoir dire que je serais accueilli à bras ouverts….. » Savez-vous au moins de qui sont ces mots. Ce sont les premières lignes de la lettre mémorable du célèbre écrivain Gonaïvien (Haïti) Jacques Stephen Alexis adressée à François Duvalier, votre père, en date du  2 juin 1960, soit un an avant d’être assassiné par ce dernier en 1961. Et Sachez, pour l’histoire, qu’il est l’auteur de « Compère Général Soleil » 1955..j’espère que vous en avez déjà savouré lecture.  À l’école des cadavres et des massacrés, le bourreau est toujours lauréat. Le duvalierisme, cette machine infernale, a fait tant pleurer beaucoup de familles haïtienne. Plusieurs familles de Jérémie (Sansericq, Drouin et Villedrouin) sont exterminées. Un enfant de quatre ans, Stéphane Sansericq, est torturé devant sa mère avant d’être tué. Les macoutes Sony Borges et Gérard Brunache éteignent leurs cigarettes dans les yeux des enfants en pleurs.Les familles Benoît, Edelyn et sont exterminées, leurs corps laissés à la vue de tous sur les trottoirs devant leurs maisons.D’autres personnes sont assassinées dans la rue et parfois au volant de leurs voitures. 1964, août : Événement connu sous le nom de « massacre des Vêpres jérémiennes ». À Jérémie (sud-ouest du pays), des soldats de l’armée haïtienne menés par l’officier William Regala, les Lieutenants Abel Jérôme et Sony Borges et par les macoutes Sanette Balmir et St. Ange Bomtemps tuent 27 personnes (hommes, femmes et enfants), appartenant toutes à des familles de mulâtres éduquées. Tous les exécuteurs sont des familiers des personnes tuées. Le régime de Papa Doc, le plus brutal des deux, est responsable de 30 000 à 50 000 assassinats et exécutions et s’appuie pour cela sur une milice armée, les Tonton Macoutes dont le nom officiel est : « Volontaires de la Sécurité Nationale » (VSN)), qui impose un règne de terreur sur la population haïtienne (Diederich et Burt, 1986).

ABSURDITÉ ET CONSCIENCE…

 «Mieux vaut subir une injustice qu’en commettre une».

                                                                      -Socrate-

Aujourd’hui, on comprend qu’on met la haine dans des quartiers en difficulté, et c’est intentionnel, et c’est une politique aussi. On repère des jeunes en détresse psychologique et sociale, on leur offre des armes et de l’argent pour semer la terreur. Sire, Vous savez que ce sont des groupes politiques qui utilisent le terrorisme comme une arme ; car c’est une arme efficace et économique ; on peut bouleverser une société avec peu d’hommes à sacrifier, c’est moins cher qu’une armée. Car des individus malintentionnés, adroits dissimulateurs, cherchant à dérober au peuple les fruits de sa victoire, ont entretenu à travers le pays un climat de violence, d’agitation, de désordre, susceptible d’entraîner la nation dans une voie dont l’issue désastreuse n’est que trop prévisible.  Si justice de mon pays à mon peuple défaut fait, sachez Sire, de ma plume, sa défense j’assurai. Depuis quelque temps, vous montrez en effet que, vous et tous les hordes duvalieristes, vous n’avez pas grand souci de la justice. Sire, Votre refus de sanctionner les exactions perpétrées par vos pères parle beaucoup  plus de votre état d’esprit sur ce problème. On sait désormais dans quelle estime vous tenez  toute justice. La mémoire, des jours sanglants de ces années-là, ne vous interpelle-t-elle pas? C’est une exigence de conscience qui peut nous montrer qu’en causant du tort à autrui, c’est à nous-mêmes que nous en faisons. C’est la thèse qu’énonce Platon dans le Gorgias , par la bouche de Socrate : «Mieux vaut subir une injustice qu’en commettre une». C’est en fait une règle universelle qui apparaît chez Confucius ou dans le Nouveau Testament.

En effet, Sire,  Je voudrais exprimer également dans cette lettre une pensée complexe, contradictoire, en mouvement incessant, allant du constat angoissé de l’abandon et de la solitude de l’homme à l’exigence d’une solidarité et d’une participation plus grande à l’aventure collective. La lumière, la joie, c’est la splendeur solaire de la terre natale d’Haïti la soif de vie, le goût du bonheur de la sensualité. La misère, c’est la vie sans lendemain, l’abandon de l’homme et sa souffrance. Ainsi, au sein-même des célébrations de la magnificence du monde, se profile le visage de la mort et de tous les maux qui menacent la félicité : « Il n’y a pas d’amour de vivre sans désespoir de vivre. » La faille est déjà ouverte d’où va surgir l’absurde. La prise de conscience du non-sens de la vie le conduit à l’idée que l’homme est libre de vivre « sans appel », quitte à payer les conséquences de ses erreurs, et doit épuiser les joies de cette terre. L’absurde, Sire, c’est le divorce entre un besoin d’absolu dont la splendeur prometteuse du monde a éveillé la soif, et la condition d’homme, mortelle, faite de laideur et de misère. A l’homme éperdu de sens et d’espoir, répondent le silence du monde et sa déraison. Sous l’éclairage de la mort, le sens a déserté la vie, mais elle lui donne son prix. C’est sur les ruines d’un monde vide de sens, que l’héroïsme de mon peuple à jamais, prêt à affronter l’épreuve de la mort, et à se  dresser pour crier son amour de la vie.

RÉSISTANCE ET DIGNITÉ…

À lire l’article de Léonard Robio, Rester digne face à l’indignité, page 5, ce dernier nous rappelle que la philosophie morale est une nécessité pour notre temps, une clé pratique de formation du caractère pour accéder à nous-mêmes et développer le savoir-être dans les temps de confusion où nous vivons, dans lesquels nous devons davantage faire face à l’inconnu qu’au terrain de nos certitudes. Sire, Impressionnés par la loi totalitaire de la terreur, nous risquons, par manque de force morale, de nous replier sur nous-mêmes et d’agir en égoïstes, renonçant à nos idéaux. Nous ne devons pas oublier que toute forme de totalitarisme cherche la défaite morale de l’individu, et que c’est un état de fragilité morale individuelle qui conduit à l’acceptation de l’empire de la force sur la loi et le droit, permettant ainsi à la terreur d’exercer son emprise indigne. La figure désincarnée de l’homme sans lien avec la communauté ni lien réel avec lui-même, est selon Hannah Arendt, la proie idéale de tout ce système. Dans La revanche des passions, métamorphose de la violence et crises du politique de Pierre Hassner, un des disciples de Raymond Aron,  se demande si nous n’aurions rien appris du XXe siècle pour construire et comprendre le XXIe siècle. Il y aurait comme une fatalité : «l’âge du terrorisme apocalyptique et du fanatisme religieux, de l’hubris impérial et du nettoyage ethnique». Le XXIe siècle succéderait ainsi «à l’âge du totalitarisme, du fanatisme idéologique, du goulag et de la Shoah, le XXe siècle».

j’ose exalter alors une morale collective de solidarité haïtienne face au mal et la  terreur. Sous nos yeux impuissants, contemplant avec amertume la solitude d’un héros narcissique remplace la solidarité, la dignité fait place à la déchéance et l’homme bourreau et victime de sa propre lucidité traîne son désespoir avec un cynisme voluptueux. Et sous le poids de la culpabilité déchirante, Sire, je brandis l’étendard de l’espoir pour signifier détermination et victoire face au suicide collectif que soulève aujourd’hui la question fondamentale du sens de la vie et pour citer Camus :  « Mourir volontairement suppose qu’on a reconnu, même instinctivement, le caractère dérisoire de cette habitude, l’abscence de toute raison profonde de vivre, le caractère insensé de cette agitation quotidienne et l’inutilité de la souffrance ». Toutefois, Sire, on comprend que ce cri comporte plus d’amertume que de joie, car il n’y a plus de valeurs consacrées pour orienter notre choix de peuple libre. Tout est permis ne signifie pas que rien n’est défendu. C’est justement dans le champ des possibles et avec ces limites que s’exerce la liberté. Et les conséquences de ses actes sont simplement ce qu’il faut payer et il y est prêt. L’homme est sa propre fin et il est sa seule fin, mais parmi ses actes il en est qui servent ou desservent l’humanité, et c’est dans le sens de cet humanisme que va évoluer la pensée de Camus. Sire, Cultiver la raison, se cultiver, c’est tendre à une plus grande perfection, c’est former une société des esprits avec les autres hommes, en dépassant à la fois la particularité des moments et des lieux.

REPENTANCE ET LIBERTÉ….

 «N’aie point pour les hommes cruels et dénaturés, les mêmes sentiments qu’ils ont pour les autres hommes» 

                                                            – Marc-Aurele-

Et pourtant, Sire, permettez-moi de vous introduire un autre verset biblique qui laisse à croire le contraire du verset initialement mentionné plus haut, Ezekiel 18 : 20 dont certains ont fait leur cheval de Troie en faveur de la punition générationnelle. Il s’agit d’Exode 20.5, qui dit en référence aux idoles : « Tu ne te prosterneras pas devant elles et tu ne les serviras pas, car moi, l’Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux. Je punis la faute des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me détestent. » Ce verset ne parle pas du châtiment du péché, mais de ses conséquences. Il dit que les conséquences du péché d’un homme peuvent se répercuter sur les générations suivantes. Dieu est en train de dire aux Israélites que leurs enfants subiraient les conséquences de la désobéissance et de la haine de Dieu de la génération de leurs parents. Les enfants élevés dans un tel environnement pratiqueraient la même idolâtrie, tombant ainsi dans le même modèle de désobéissance. La désobéissance d’une génération a eu pour effet de permettre au mal de s’enraciner si profondément qu’il faudrait plusieurs générations pour inverser la tendance. Dieu ne nous tient pas pour coupables des péchés de nos parents, mais nous en subissons parfois les conséquences, comme l’illustre Exode 20.5.

Sire, je  ne peux pas m’empêcher d’être entraîné dans une vision d’avenir pour Haïti. Oui, je suis un héritier de la liberté. La démocratie m’a accouché et de la tyrannie je dois combattre. Moi, fils du peuple, l’esprit de souveraineté en moi incarné et du bien-être de peuple est mon but. Mais rien ne  m’empêche d’apprendre des expériences négatives, pour m’orienter dans une vision positive mais pas pour autant naïve, qui m’émancipe de la fatalité. Et enfin, Sire, dans son livre intitulé « Paroles de Vérité » Dhammapada Sutta déclare : «Il m’a vilipendé ; il m’a maltraité, il m’a vaincu ; il m’a volé. Chez ceux qui accueillent de telles pensées, la haine ne s’apaise jamais… Chez ceux qui n’accueillent jamais de telles pensées, la haine s’apaise. En vérité, la haine ne s’apaise jamais par la haine ; la haine s’apaise par l’amour, c’est une loi universelle». Sire, j’ai déjà fait mienne la pensée de Marc Aurèle : «N’aie point pour les hommes cruels et dénaturés, les mêmes sentiments qu’ils ont pour les autres hommes». Et le ciel à ma droite conduira mes pas vers la victoire.

                                                   À jamais, vive Haiti.

Lavoisier J. CHÉRISIER

cherisierlavoisier@gmail.com

Tel : (516) 406-4603

Sire, une petite bibliographie pour vous guider dans votre acheminement :

  1. Philosophe allemande naturalisée américaine (1906-1975), connue pour ses travaux sur l’activité politique, le totalitarisme et la modernité. Auteur de Les origines du totalitarisme, Condition de l’homme moderne, et La crise de la culture. Voir article d’Isabelle Ohmann, Hannah Arendt, la conscience du mal, paru dans la revue Acropolis n°193 (mai-août 2006)
  • Trouillot, Michel-Rolph, Les raciness historiques du régime des Duvaliers , Deschamps, Port-au-Prince, 1986
  • Stanley Milgram, Auteur de Soumission à l’autorité, Calmann-Levy, 1974

  • Questions ultimes, Thomas de Koninck, éditions Presses de l’Université d’Ottawa, 2012
  • Pierre-Charles, Gérard, Haiti Jamais Plus! Les violations de droits de l’homme à l’époque des Duvaliers , Editions du Cresfed, Port-au-Prince, 2000.
  • Pierre-Charles, 2000:85-86 ; Avril, 1999:146-149 ; Entretiens avec témoins)

  • Le Politique d’Aristote, I, 2, 1253a, 31-37,  par J. Aubonnet, éditions CUF 1960-1989, 5 volumes
  • Dialogue de Platon sur l’art de la rhétorique, traduction A. Croiset, Éditions Belles lettres, 278 pages

  • Notions fondamentales de morale, Robert Spaemann, traduction Stéphane Robillard, Flammarion, 1999, 137 pages

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